Tout peut se dire pour ne rien dire.


Plan fixe sur le visage placide d’un sujet autorisé assis à une table vide dans une lumière artificielle bleutée. Un sourire esquissé lui sert de métronome : contrôle du rythme, de l’intensité, de la hauteur de la voix. Le ton est contenu. Le phrasé s’affiche avec une rigueur d’acteur qui cherche à s’absenter ou être absent de ce qu’il dit.
Les limites sont déjà fixées : faire semblant de croire à ce qui est énoncé, sans intonation ni accentuation particulière, et ne rien laisser filtrer dans l’expression verbale de ce qui pourrait être perçu comme une réaction inconsciente personnelle, ou un lapsus significatif, quel que soit le pire de ce qui est entrain de se dire ou de ce qu’il sera bientôt obligatoire de dire. Le regard stable est droit. La partie supérieure du corps, cadrée sur un rectangle, n’est jamais désaxée. Au-dessus du cou tendu hors d’une chemise cravatée, les lèvres mobiles du locuteur produisent des mots en syllabes calibrées issues de la langue officielle, langue légitime, qui se débitent en flux constant. Le monologue, continu et affirmé, se traverse ponctuellement par des compléments d’arguments, des preuves de conformité, des rappels du bien fondé des points de vues retenus pour cet exercice d’interprétation d’un réel mesuré, découpé, monté en liste d’événements.
Chaque exhumation de situations s’exhibe imbibée de commentaires. Les commentaires enrobés de formules dramatisantes, du tragique au sensationnel, s’accumulent et se stratifient en garanties de sources, chiffres de sondages, graphiques statistiques, pour aboutir à un amalgame de lieux communs.
Au sommet d’une tentative de démonstration qui se voudrait explicative, se place souvent comme un secours, des images exemplaires ballottées dans des reportages exclusifs où s’insèrent encore d’autres commentaires, pléonasmes de ce qui s’est déjà dit, au service de prises de vues de surfaces insituables, de lieux non identifiables, de témoignages anecdotiques, de partis pris aléatoires. Tout est déclinable, transformable, dans un huis clos ritualisé pour faire vivre et partager le cours des choses dans une abondance de couleurs, de détails intensifiés, de points de vues sectaires passés à l’étalonnage toujours payant de la trivialité et de la morbidité.
L’incursion brutale et rapprochée sur divers faits d’actualités traités sans distinction et sur le mode attractif du fait divers, montré au moins deux fois par jour, série d’éléments assemblés en un tableau cohérent avec tout le talent et le savoir faire de faussaires, distille un magma normatif et idéologique permanent à base de croyances, de jugements arbitraires, de visions équivoques.
Ce magma se perçoit pour une oreille ouverte et un œil attentif, comme une avalanche d’ordures mitraillées en toute impunité par la bouche désincarnée et tape à l’œil d’un clone asservi à sa chaîne. Trente minutes de gavage quotidien via le tube cathodique où le monde est présenté comme une entité spectaculaire de terreurs et de crimes sous le couvert de la neutralité.
Trente minutes de constats d’erreurs, de mauvais calculs, de stratégies trompeuses, de négociations troubles, d’hommes politiques viciés, d’appareils d’états maffieux, de tyrannies des marchés financiers, de transferts de fonds occultes, de trafics humains, de paysages recouverts de cendres, de nourritures falsifiées, de douleurs dans les corps, de tortures en séries, de météo déréglée, de ruines, d’abandons, de non droit pour les pauvres, les faibles et les marges.
Tout s’est dit pour ne rien dire.
K.O, désemparé, le citoyen consommateur stigmatisé par la peur n’a plus que le désir de se terrer vivant avec un bon divertissement, en attendant un sauveur.

Urgence de déprogrammer.…

 

" S’agissant du monde social, la théorie néo-kantienne qui confère au langage, et plus généralement aux représentations, une efficacité proprement symbolique de la construction de la réalité, est parfaitement fondée : en structurant la perception que les agents sociaux ont du monde social, la nomination contribue à faire la structure de ce monde et d’autant plus profondément qu’elle est largement reconnue, c’est-à-dire autorisée. Il n’est pas d’agent social qui ne prétende, dans la mesure de ses moyens, à ce pouvoir de nommer et de faire le monde en le nommant : ragots, calomnies, médisances, insultes, éloges, accusations, critiques, polémiques, louanges, ne sont que la petite monnaie des actes solennels et collectifs de nomination, célébrations ou condamnations, qui incombent aux autorités universellement reconnues. "…
Pierre Bourdieu.
Ce que parler veut dire.
Fayard. 1982.

 

 
 flytox

 


 
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