Les Néons du Caire

Les accumulations de déchets fixés sur les toits terrasses des buildings années cinquante cimentés par des années poussières se   découpent du gris blanc jaunâtre de l'air sur un ciel d'un gris un peu sale quand elle murmure tout bas comme si cela voulait dire  douceur "c'est beau" les yeux fermés en direction de ses pieds avec un ton d'innocence de petite fille la main fermée sous son  menton tendu et pâle à l'heure de la Stella sur le balcon de la chambre 38 de la Pension Roma où le client se sent comme chez   soi d'où il est donc facile de voir sans être vu une nuit après l'autre deux formes noires peut-être des êtres sans visage deux   silhouettes fantômes qui glissent lentement au dessus des ordures et s'affairent à chercher des choses minimes et remettre des  choses minimes sur des choses désagrégées d'un bord à l'autre de la surface rectangulaire habitée dans les angles de batis de bois   et de tôles provisoires qui durent sur ce dernier étage d'un immeuble du Downtown en pierre de taille occupée au niveau du   trottoir par des vitrines clinquantes  surchargées de mannequins blondes cheveux libres en coiffure lionne sauvage de types   occidentales quelquefois dénudées en offrande au passant musulman mais vite rhabillées de jean et t-shirt panthère serrés au   milieu d'un déballage démonstratif de slips de soutiens-gorge de combinaisons fendues en dentelle de nylon fabriqués à Taïwan couleur rouge sang sexe panoplie d'un trou à vendre  juxtaposée aux traditionnelles robes de rêves de mariées orientales  imposantes et rigides immaculées de strass sur lesquelles clignotent jusqu'au demi jour l'enseigne du Honolulu Club Théâtre  fréquenté par des gros réguliers à la cravate défaite autour du col blanc ouvert d'attaché commercial l'air satisfait en s'épongeant  le front d'avoir assouvi leur soif de danseuses du ventre dévoilées déposées plus tôt par les taxis qui reviendront plus tard les  chercher devant la porte surveillée du cabaret comme sont surveillés et gardés partout dans la ville tous les lieux d'entrées de  sorties de passages soumis à l'état d'urgence décrété qui s'applique en sourdine dans les comportements jusque dans  les   moindres gestes civils comme s'asseoir au café là où cela se décide pour vous dans un chahut de chaises là où vous tentez de  demander à un jeune architecte qui vous montre un dossier ce qu'il veut dire quand il dit qu'il cherche à isoler le pur style arabe   du style arabo andalou sur un fond de dialogues de feuilletons à l'eau de roses distillés plein volume par les télévisions de plein  air  accrochées sous les hauts parleurs suspendus sur les coins de façades saturés par les voix des muezzins amplifiées à la lumière   diffuse d'un néon vert du même vert que le vert des tapis déroulés tous les vendredis dans l'impasse en bas de la pension où se   martèlent les fronts des fidèles marqués d'un bleu par la prière sur la chaussée imbibée de l'odeur des vieux moteurs diesels   poussés au maximum par des chauffeurs très sûrs de leur allure rapide et constamment désaxée par des coups de klaxons codés  qui indiquent aussi au visiteur piéton comment louvoyer de travers et vite pour traverser dans le flux de voitures jusqu'à vouloir   atteindre un jour à pied le Nil fleuve noir  jusqu' à la pointe de l'île El Rouda où des vagues de violons tristes embaument encore   la diva Oulm Kalthoum dans un musée mausolée vu de loin un point unique secret et silencieux qui laisse loin derrière soi   l'agitation des bouffons étrangers déguisés en acteurs culturels englués pour la plupart dans leur goût morbide des faibles des  restes des déchets et des ruines toujours prêts dans leur insolente ignorance tissée de fantasmes exotiques à exploiter n'importe   quelle situation sous le label de la coopération, marché enrobé de projets propres et sans faille lissés par des "c'est beau"   prononcés  en face de surfaces en poussières qui transforment les choses et les gens en interprétation spectaculaire pour étouffer   leur peur de l'énigme du vide.

             Eve Couturier
             Cairo. Octobre 2002.
 
 

 Licid Baladi

 wedding in Cairo