"FILM" label Signature 2002

Chez Palix, la notion de bruit parasite n'existe pas. Tout son, naturel,
humain, mécanique, synthétique, urbain, "fixé" ou produit par un instrument
de musique, est un matériau noble, retenu pour son potentiel à être
transformé, altéré, détourné, recyclé dans le vocabulaire d'une musicalité
non tempérée. Les pièces réunies sur ce disque révèlent la dimension
atmosphérique, introspective ou émotionnelle résultant du travail de
stylisation du compositeur.
Musique non écrite, l'art de Palix se rattache à une tradition orale qui
s'élabore en sous-sol, du blues à l'improvisation bruitiste.

Anaïs Prosaïc

1 : 24 heures varia - 2001  Mélange de musicalité et de bruits, de "son fixés" et d'un accompagnement
instrumental. Le réalisme des sons de motos  est perturbé par l'intrusion musicale et vice versa.

2 : Bird's etudes N°1 & N°2 - 2002  Le piano imite le chant des oiseaux.

3 : Dan Bau 2  - 2002  Un instrument traditionnel recontextualisé par le Tapage Club.

4 : HK view N°1 + Olmeva - 2002 & 1997  Les instanés et travellings furtifs qui restituent l'atmosphère urbaine,
espaces, silences, densités sonores.

5 : Chopping - 2001  Les effets de bande magnétique tournant à l'envers.

6 : Writtle testing - 2001  Ritournelle fébrile et voix détournées et traitées.

7 : No Fall - 2000  Moulinage étouffant, souffles inquiétants, palpitation mourante.
 
8 : Bird's etude N°3 - 2002 Dans les pas d'un mystique qui perçoit la présence divine dans les structures mélodiques et rythmiques des chants d'oiseaux.

9 : Taeiri Mouth - 2002 L'art d'enregistrer le presque-silence d'un premier matin du monde, une rumeur ténue qui s'épanouit dans l'éveil des oiseaux.

10 : Polishing - 2001 Rythmique "jungle" produite par des sons qu'on dirait "salis" dans le processus de leur détournement.

11: Guerveur - 1998  Interraction de sons fixés, triviaux, quotidiens, ambiants, et de sons  musicaux, créateurs de sensation d'espace.

12 : Hommage à CN 3 - 2001   Musique pour piano mécanique réalisée sur ordinateurS

13 : Highway 44 - 2001   Synthèse de sons de guitare et autoroutiers, sur un groove lent, façon road movie.

14 : Jingo frame - 2001      Nappes de sons filés, étagés en une vibration sombre et continue. Prélude
funèbre aux temps troublés annoncés par cette tragédie.
....


Compositeur atypique se revendiquant hors de tout genre et de toute classification, agitateur à Radio Nova dans les années 1980 puis créateur du label "Song active", instrumentiste aussi bien que "chasseur de sons", Jean-Jacques Palix veut faire flèche de tout bois, musique de toute sonorité et de tout matériau, en se libérant de toute forme préétablie (ce qui ne l'empêche pas de citer ses sources et ses influences). "Film", ou encore cette histoire de "vision", de "réalisation" sonore, d'oeil qui écoute... thème cher à tous les artisans français de la musique concrète. Pourtant, Palix ne va pas seulement lorgner du côté de Bernard Parmegiani, Thierry de Mey ou Luc Ferrari, il rend aussi hommage à Messiaen, Nancarrow... conjugue guitare, piano, dan bau et laptop, se fait scénographe et compose des musiques de scène... Bref, et c'est aussi le défaut de ce disque, il part dans toutes les directions. Examinons-en quelques unes. D'un côté, il y a les études bruitistes "miniaturistes", à la Parmegiani, qui tournent autour d'un seul son, le genre de démarche qui peut donner des résultats fascinants : "Circles" et ses billes d'acier, "Chopping" et son découpage d'oignons rouges (on a l'impression que c'est dans notre chair que le couteau rentre) ; en revanche "Brico varia" n'apporte rien. Il y a également la re-création de paysages sonores "réels", qui nous entraînent du côté de chez Luc Ferrari : "HK view n° 1" (Victoria Bay de Hong-Kong), Guerveur (petit charme de l'arrivée d'un bateau dans le port de Quiberon), "Writtle testing" (tour de contrôle à l'aéroport de Dallas), font partie du lot : atmosphères urbaines, paysages sonores plus bucoliques... rien de transcendant tout de même. Etranges et inutiles sont en revanche les hommages à Olivier Messiaen sur "Olmeva" (utilisation d'intervalles issus des "Vingt regards sur l'enfant Jésus") et les "Bird's etudes", exécutées tout simplement au piano ; j'ai toutefois un penchant pour "CN 3", mitraillage d'accords d'un piano fou (l'ordinateur aidant) pour évoquer Conlon Nancarrow. Et puis il y a aussi cette musique electro-acoustique très pulsée, sur "Polishing", qui rappelle fort les musiques pour ballet de Thierry de Mey. Non, là où Palix se distingue vraiment, c'est lorsqu'il s'agit d'allier ou de déformer les sons les plus incongrus pour obtenir des ambiances uniques : "24 heures" et sa course de motos pilonnée à la contrebasse électrifiée, "Ban bau 2" (solo de cet instrument monocorde vietnamien aux sonorités inouïes), "Highway 44" où le guitariste avant-garde Jeff Rian vient poser un solo apaisé sur le passage des voitures à toute vitesse. La beauté nous saisit donc parfois, malgré l'absence d'unité et le manque d'une petite pointe d'émotion (comme souvent hélas dans la musique contemporaine). Ceci dit, le caractère rauque, saturé et angoissant de "Jingo frame" (une guitare électrique passée à la moulinette ?), enregistré le 11 septembre 2001 au matin, vaut à lui seul le coup d'oreille, ainsi que "No fall", composée à l'occasion d'un spectacle intitulé "Asphyxie", qui est une pièce absolument saisissante, d'abord parce qu'on n'en perçoit pas les sources sonores exactes, ensuite parce qu'avec un matériau réduit au minimum, Palix parvient à créer également une atmosphère glauque et étouffante qui laisse l'auditeur à genoux alors que le disque s'achève.

(samedi 12 novembre 2005).
www.gutsofdarkness.com